Des spirales dans les plantes ? (1/2)

Peindre avec exactitude le cœur d’un tournesol ou l’architecture d’un chou romanesco n’est pas une mince affaire… Pour tâcher d’y voir plus clair, nous avons demandé l’aide d’un de nos amis, à la fois mathématicien et spécialiste des images : Jacques Lubczanski

Quand on suit de l’œil les écailles d’une pomme de pin, on parcourt une courbe en spirale qui tourne autour du fruit. Selon qu’on part d’une écaille ou d’une autre, on parcourt plusieurs spirales. Si on s’amuse à les compter, on en trouve 8. Et si on va dans l’autre sens, on parcourt également des spirales – et cette fois il y en a 13.

On peut faire le même type d’observation au cœur d’une fleur de tournesol, ainsi qu’avec d’autres plantes. On trouvera à nouveau 5, 8, 13, voire 21 spirales ou même 34. Les botanistes appellent ces spirales des parastiches.

Y a-t-il réellement des spirales ?

  

Quand nous voyons des spirales sur la pomme de pin, nous assimilons chaque écaille à une forme géométrique simple à quatre côtés, et nous suivons un chemin parmi les écailles, comme si nous marchions sur un dallage : nous passons d’une écaille à sa voisine en franchissant un côté commun à ces deux formes. En réalité, ces spirales n’existent pas : nous voyons des spirales là où il n’y a qu’un remplissage de la surface par des écailles.

Dans le même ordre d’idées, nous avons l’habitude de voir des lignes là où il n’y a que des points, d’imaginer la courbe qui relierait chaque point à son plus proche voisin. Est-ce parce que, enfants, on nous a fait relier des points sur une feuille pour découvrir une forme, ou plutôt ce jeu n’est-il pas déjà inscrit dans notre façon de percevoir le monde ?

Toutes proportions gardées, on retrouve cette question avec les constellations dans le ciel. Les étoiles d’une même constellation sont très éloignées les unes des autres et n’ont en général rien en commun, si ce n’est que, de là où nous sommes dans l’univers, nous les voyons assez brillantes et assez proches les unes des autres pour imaginer une forme qui les unit : une constellation.

Ces formes et ces courbes que nous superposons à la réalité physique construisent notre représentation du monde, et nous le rendent intelligible. Voir des spirales sur la pomme de pin ou dans le cœur d’une fleur de tournesol enrichit aussi notre vision d’une dimension nouvelle, scientifique, plastique, poétique…

A l’origine des spirales, les deux principes de Douady et Coudert

La zone de croissance où se créent et se développent de nouvelles cellules s’appelle le méristème: c’est là qu’il faut chercher l’origine des spirales. Dans nos exemples de plantes spiralées, le méristème est circulaire et au centre de la plante.

En 1868, un botaniste allemand, Wilhelm Hofmeister, a publié une étude des méristèmes spiralés ; il a énoncé un premier principe pour expliquer leur croissance. En 1996, deux physiciens français, Stéphane Douady et Yves Couder l’ont complété par un second principe :

– principe d’éloignement mutuel : les nouvelles unités botaniques se créent l’une après l’autre dans la partie la moins peuplée du système ;

– principe d’éloignement du centre : les nouvelles unités botaniques s’éloignent graduellement du centre du système.

Douady et Coudert ont pu recréer expérimentalement les spirales observées. On peut voir ces expériences sur le site du Smith College, une université américaine, qui est consacré à la phyllotaxie, c’est à dire à la science de la pousse des plantes : http://cs.smith.edu/~phyllo/

On peut aussi y voir les dessins ci-dessous, qui illustrent les deux principes. Pour les observer, il ne faut pas oublier que les numéros les plus grands correspondent aux cellules les plus anciennes : la numéro 1 est celle qui vient de se créer, la numéro 2 s’est créée juste avant…

Suite de Fibonacci et Nombre d’Or

L’intérêt des expériences de Douady et Coudert est qu’elles reconstituent avec des particules non seulement la forme des spirales mais aussi leur nombre : 5, 8, 13, 21… Les deux principes permettent de retrouver par la théorie ces résultats, mais il n’est pas possible d’en détailler ici la démonstration, d’un niveau mathématique élevé. En revanche, la nature et les propriétés de ces nombres sont un sujet classique de mathématiques élémentaires : la suite de Fibonacci.

Pour obtenir les termes successifs de cette suite, on part des deux premiers, 1 et 2, et on les ajoute : 1 et 2 font 3. Puis on ajoute 2 et 3, qui font 5 ; puis 3 et 5, qui font 8, etc. Chaque terme est la somme des deux termes qui le précèdent. On obtient ainsi : 1 ; 2 ; 3 ; 5 ; 8 ; 13 ; 21 ; 34 ; 55…

Cette suite est liée de nombreuses façons au Nombre d’Or, qui vaut environ 1, 618 ; sa valeur exacte est (1+√5)/2. Par exemple, si on divise un terme de la suite par celui qui le précède, on trouve 2/1 ; 3/2 ; 5/3 ; 8/5 ; 13/8 ; 21/13…, soit en valeurs approchées 2 ; 1,5 ; 1,67 ; 1,6 ; 1,625 ; 1,615… Ces fractions se rapprochent de plus en plus du Nombre d’Or.

Cette convergence a une application pratique : supposons qu’on veuille dessiner un « Rectangle d’Or », c’est-à-dire dont le rapport longueur/largeur soit égal au Nombre d’Or (on dit que, parmi les rectangles, ces proportions sont les plus agréables à l’œil humain). Il suffit de dessiner un rectangle dont les côtés sont proportionnels à 5 et à 3 ; ou à 8 et à 5 ; ou à 13 et à 8, etc. Plus on va loin dans la suite de Fibonacci, plus on sera proche d’un Rectangle d’Or. Dans la pratique, à partir de 8/5, l’œil ne voit pas la différence.
 
 
Jacques Lubczanski
 
 
Un prochain article traitera de l’application concrète au dessin. A suivre…